Un don du Cœur

24 août, 2021 - 09:12
Eric Raimbault

Troublant... très troublant même. Qu’il me vienne entre les mains un carton de dessins de Dubuc... juste en ce moment où je patine un peu dans ma vie... artistique, et autre... Faut bien le dire, un tournant de vie...

Dubuc, un peintre que j’adore... qui me touche... que je m’échine à remonter... à soutenir du mieux que je peux, et pour lequel j’ai créé ce site il y a des années... Un combat parfois désespérant contre l’oubli d’un artiste... pour lui obtenir un soupçon de reconnaissance... J'aimerais cela... Mais bon...

Et puis là, pile à ce moment de ma vie, cette dame, Thérèse E., qui me contacte via le site, avec le souhait de me faire don de ce carton plein de dessins de Roland... comme ça, pour rien, pour ne pas qu’il se perde ou qu’il soit détruit à jamais... Extrême et belle générosité nue...

Donc on s’est donné rendez-vous avec Thérèse... dans une petite ville de banlieue au pied d’un monument aux morts. On a discuté un moment sur un banc... Rendez-vous compte, elle a fait l’effort de venir jusqu’à moi. J’en était troublé, gêné presque, à vrai dire... Contrairement à ce que je m’imaginais cette dame qui m’a interpellé de loin en me reconnaissant sur cette placette écrasée de soleil, n’avait pas à ses côtés un carton à dessin comme je me l’étais l’imaginé, mais un grand chien jaune...  (Le carton qu’elle me donna plus tard était resté dans sa voiture garée non loin). Thérèse, m’apprend rapidement qu’elle est éducatrice de chien guide d'aveugle... Cette information ne m’a interpellé qu’après notre rencontre... Le hasard m‘avait donc placé en face de deux guides dont la mission est d’orienter d’autres personnes perdues dans la nuit... Le cerise du gâteau : ces guides sont là pour me faire le don formidable d’un carton contenant les dessins d’un peintre aujourd’hui décédé, mais que j’aime particulièrement et avec qui, j’entretiens un lien artistique particulier... hors du temps...  Comment ne pas y voir un “message lumineux” (je ne sais comment le nommer). Moi qui ne suis pas spécialement versé dans l’ésotérisme éthéré, j’avoue être troublé... Voir même déstabilisé dans mes certitudes rationnelles... Certes des périodes existentielles difficiles peuvent biaiser la perception des évènements... Mais quand même... Quand même, merde !... Y voir la main tendue de Dubuc, depuis les  limbes où il évolue maintenant, de l’autre côté de la vie, est assez tentant je dois dire... Un message d’espoir... Une lumière réconfortante et guidante offerte par un artiste à un autre artiste, sous la forme  de cette “capsule temporelle”  revenue de quarante ans d’oubli. Un message me suggérant de trouver dans l’art et la peinture, en particulier, un chemin pour avancer encore... comme il l’a fait lui même toute sa vie ? Est-ce le message que Dubuc m’envoie ?... Qui plus est, ce don merveilleux m’est confié par cette dame douce et généreuse et ce beau chien-guide... Que de signes... De symboles troublants, de sujets de questionnements... Non ? Peu importe d’ailleurs, j’aime y croire, ne serait-ce que pour la poésie des coïncidences et le rayonnement que cela m’apporte... 

Sur ce banc, Thérèse me raconta la rencontre avec Dubuc :

Elle a croisé Dubuc, il y a quarante ans environ... Elle avait la vingtaine... lui, la cinquantaine bien chaussée... Ils se sont rencontrés dans un restaurant de Royan, L’Huîtrerie... On remarquait facilement le personnage... Assez haut en couleur... Un fantasque qui attire l’œil... qui sort du commun. Pour tout bagage, il possédait un petit chevalet, un microscopique baluchon, maigre viatique de ses voyages à lurelure, et un carton à dessins rafistolé à la diable... Gros scotch noir partout le rendant plus ou moins imperméable aux intempéries climatiques... Grosses lunettes d’écaille, le nez au vent, le cheveu rare et follet l’homme était assez indéfinissable me dit-elle... Résistant à toutes descriptions précises... Une âme plutôt, sur laquelle les choses matérielles et financières glissaient comme sur une toile copieusement cirée... Un humain authentiquement loin des tracas qui rayent nos petites vies terrestres... Une chenille bien dans sa vie de chenille... Se foutant des papillons. Un esprit tranquille confiant en la vie qui pourtant ne l’épargnait guère... Un être capable de dépenser immédiatement l’argent de la vente d’un dessin à un cafetier, pour une joyeuse tournée générale chez ce même cafetier... Voyez le personnage... La philosophie burlesque du clown... (Ce qu’il fût un temps d’ailleurs...). Respect en ce qui me concerne.

Ils ont longuement discuté dans ce restaurant puis elle a invité notre artiste à passer un temps indéterminé chez elle... Le temps indéterminé a duré une semaine environ. Le temps pour notre chenille de se rebecter, de se reposer les anneaux, de brouter une salade au calme. Il partait le matin avec son chevalet et ses couleurs...Elle ne savait où... Pour combien de temps ?... absolument libre... Arpentant probablement les rues de Charleville-Mézières, les marchés, les rives de la Meuse, la campagne à la recherche d’un sujet qu’il diluerait à l’aquarelle ou à la gouache, sur son papier Canson. Peindre, toujours peindre... L'obsession du bonhomme... Sa vie, sa moelle... sa profonde raison de vivre aussi, sans aucun doute.

Puis un jour, il est parti me dit elle. Il a ondulé ses anneaux vers une autre direction artistique... une autre salade... un appel mystérieux... Il a laissé son chevalet et son carton plein de dessins dans l’idée de revenir les chercher un jour. C’est aussi ce que Thérèse pensait... Mais ce ne fut pas le cas... La chenille n’est jamais revenue. 

Thérèse rangea le matériel et le carton soigneusement... pour quarante ans

Le chevalet lui fut volé, et il y a peu, un dégâts des eaux l’obligea à un rangement de fond, qui permit d’extraire ce carton et ces dessins de la poussière et de l’oubli.

Et puis il y eut les recherches sur ce peintre qui croisa sa vie, et la visite sur ce site... puis ce don... formidable d’humanité...

J'ai posté la plupart des dessins sur ce site dans les différentes rubriques, suivant les thèmes, afin que tout le monde puisse en profiter.

Merci Thérèse, merci Dubuc pour ce geste qui est pour moi bien plus que vous n’imaginez... un précieux trésor du cœur...

Eric Raimbault